Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'amour à quarante ans.

Publié le par E.P.O.

L'amour à quarante ans.

L’amour à quarante ans.

 

Marcos avait compris qu’au fond des yeux bleus de son amour, il n’occupait qu’un petit coin au bord de la rétine et que tout le reste était occupé par un autre. Un an plutôt, alors qu’ils avaient rendez-vous à midi dans un coin charmant de la forêt, elle arriva en retard. Ella avait passé la matinée en compagnie de son ibère et des élèves de la classe dont il était l’instituteur. Elle lui raconta la sortie, mais omis de lui dire que rentrés une heure avant midi, tous les deux profitèrent pour boire un thé accompagné des câlins d'amour.

Les enfants étaient des bons entremetteurs sans le savoir. Les jeudis soir, Ella et son ibère se retrouvaient devant la salle de musique. Ils déposaient leurs enfants respectifs pour une heure de cours. Le couple s’échappait en voiture jusque dans le parking du centre culturel où en toute discrétion il faisait l’amour.

Les habitudes existent aussi dans la vie érotique. Tel jour à telle heure enlevons les vêtements. Ella et Marcos faisaient l’amour le vendredi soir. La belle se plaisait à lui parler du bel ibère aux yeux bleus juste après avoir jouit. Il avait gardé l’espoir que l’histoire amoureuse de sa compagne ne serait qu’une passade.

Chaque fois qu’il faisait allusion aux phrases qu’elle prononçait, elle niait avec force. Mais les mots la trahissaient. « Il a un objectif très grand dans son appareil photo » disait elle en rigolant ou encore « Il aime bien quand je lèche la crème du cornet ». Marcos fut jaloux et malheureux quelques heures. Comme Ella, par petites touches de déception, il cessa de l’aimer.

Marcos passa un été sombre. Peu avant de s’envoler pour le Mali, Ella lui dit « Je ne suis plus amoureuse de toi. Je veux qu’on arrête de se voir ». Elle ne pensait plus à lui tous les jours, toutes les heures. Elle ne pensait plus jamais. Il le savait, dans la semaine, jamais un appel ou un message au travail. Ella ne donnait plus des nouvelles

En septembre, il lui fit savoir que puisque s’était ainsi il chercherait un nouvel amour. « Ah non ! s’exclama-t-elle. Je veux bien te voir une fois par mois mais tu ne me trompes pas ». C’était à n’y rien comprendre.

Aucune chance donc de la reconquérir, la nouveauté la séduisait. Il fit semblant de tenir sa promesse d’une fidélité au mois. Las, aussitôt promis, aussitôt oublié. Désormais, une belle brune de dix ans plus jeune, souple comme un chat et belle comme le charbon minéral, avec son corps fin et ses formes douces, ondulait sur sa peau.

Il se souvint d’Anaïs Nin qui écrivit il y a longtemps déjà « Si l'on change intérieurement, on ne doit pas continuer à vivre avec les mêmes objets ». Il avait accepté la rupture parce qu’il avait changé et Ella aussi.

Un soir de pleine lune, il pleura longuement devant la maison qui avait été la sienne par intermittence. Il se rappela à nouveau d’Anaïs Nin, dont il avait acheté tous les livres dans l’espoir d’apprendre à aimer. « L’amour ne meurt jamais de mort naturelle. Il meurt parce que nous ne savons pas revenir à ses sources. Il meurt de notre aveuglement, de nos erreurs et de nos trahisons. Il meurt de ses maladies et de ses blessures. Il meurt de lassitude, il dépérit et se ternit. » Il choisit le sentier qui passait par la forêt pour aller jusqu’à la gare, le vent rendait vie aux ombres des arbres géants. Soudain la nuit devint noire, les nuages recouvraient à nouveau tout le ciel. Marcos frissonna sans savoir s’il avait peur ou s’il se rendait compte du temps qu’il avait passé auprès d’un amour, qui désormais n’était que du temps perdu.

Voir les commentaires

Agir et penser en surdité

Publié le par E.P.O.

AGIR ET PENSER

Accompagner les parents.

(paru dans la revue APORIA n° 11 novembre 2008 )

Introduction.

Agir.

J’ose à peine vous raconter mon blouson. Trente ans…en 1978. J’étais à l’université en troisième année de psychologie. Un peu perdu, un peu jeune encore. Dans la poche de mon blouson j’avais tout le temps ma carte de séjour que je renouvelais tous les trois mois, une carte de refugié, un passeport bleu des Nations Unies, dans lequel était noté « valable pour tous les pays du monde sauf pour le Chili» et une carte de travail valable un an. La poche de mon blouson protégeait mon identité incertaine, à l'intérieur se rangeaient toutes les incohérences de l’administration et ma méconnaissance de mes droits. Je ne savais pas que dès mon arrivée en France j’aurais pu avoir une carte de séjour et une carte de travail longue durée, cela m’aurait permis de consolider un statut de résident permanent. Le manque d’information et de maîtrise de la langue d’accueil me faisait croire que les choses étaient ainsi. Remarquez que cela nourrissait aussi mon rêve d’un retour rapide au pays. En quelque sorte ne pas connaître mes droits réels me confortait dans l’idée que les choses d’avant allaient bientôt reprendre leur cours. Ce ne fut pas le cas, tout s’est poursuivi dans un espace nouveau, dans un temps nouveau, dans une langue nouvelle. Trente ans après, il me reste encore la nostalgie, cette puissante force du souvenir qui fait barrage à la dépression. J’ai renoncé à l’idée d’un retour, cela m’a aidé à apprécier et à investir ce qui s’offrait à moi. Le pays est toujours en moi, malgré moi. Je vous ai livré quelques souvenirs du temps où j’avais vingt et un an, c’était avec une malhonnêteté certaine. Je voulais simplement mener jusqu’au bout l’analogie sur la nouveauté en des termes un peu généraux, disons publiques, car sur le versant de la vie de chacun les choses sont plus nuancées, plus sophistiquées et ne méritent pas d’être comparées à d’autres. La charge émotionnelle que quelqu’un peut ressentir est incomparable. Se sentir enveloppé par quelque chose dont on ne connaît rien, dont la langue nous échappe, dont nous n'avons pas intériorisé les repères pour construire l’avenir nous pousse à agir, à combler le vide par une action qui nous fait croire que par là il y a la solution pour sortir de notre état de flottement. Dans toute situation nouvelle l’agir masque notre pensée. C’est de cela que j’aimerais vous parler. Dès l’instant où les parents font la rencontre avec le monde de la surdité, ils partent à la recherche de solutions, non pas pour apporter à leur enfant ce dont il aurait besoin pour épanouir son intellect, son langage et sa langue mais pour re-trouver l’enfant auquel ils pensaient avoir droit. Nous sommes alors en face de situations quelque peu opposées. D’une part les discours qui pressent les parents à réaliser un certain nombre d’actions nécessaires tout en leur disant « prenez le temps de réfléchir », sinon les portes météorologiques des ouvertures neuronales vont se fermer. D’autre part la revendication des parents est légitime, il faut seulement les accompagner, ouvrir leur âme à une vraie réflexion pour atténuer leur quête réparatrice parce qu'à côté d’eux il y a un enfant qui demande à se faire reconnaître. C’est un long parcours que nous leur proposons.

2. Loin des yeux, loin du cœur.

Je vous invite à parcourir des vieux dossiers. Ce sera l’occasion d’exposer quelques idées sur la rencontre des parents avec les professionnels, nous savons que celle-ci oriente durablement l’action et la pensée des parents. Souvent, nous avons été les témoins passifs d’un agir, voire de l’errance parentale parce que ils ont pu croire qu’ici il n’y a avait pas la Chose souhaitée, mais là-bas peut être. Il existe un écart significatif entre l’enfant sourd et ses parents entendants qui nous conduit à élaborer avec eux la reconnaissance de la différence de l’enfant par la famille. C’est pourquoi nous déployons un cadre où il n’y a pas une seule rencontre mais des rencontres, qui sont autant de versions de la surdité. Il y a quatre ans j’ouvrais les archives d’un établissement de la région parisienne, j’ai jeté un coup d’œil dans les dossiers des enfants admis dans les années 65-70. Il y avait là les notes cliniques de la psychologue, de la directrice, du médecin, des institutrices, des éducateurs. La manière de parler de l’enfant sourd n’était pas très différente de celle de maintenant, il existait un regard constant sur son développement, sur son comportement, sur ses acquisitions scolaires, sur le développement de la langue orale. Néanmoins un détail, nécessaire au respect de l’esprit du projet « audio-oral » de l’institution, attira mon attention : il était interdit d’esquisser un mot signé, qui dans le contexte du développement de la langue des signes de l’époque était un acte de créolisation, les enfants qui avaient des difficultés pour parler se débrouillaient pour signer. Je vous rappelle que dans les années soixante l’enfant sourd avait changé de dénomination, il n’était plus sourd-muet mais déficient auditif. L’enfant devenait un déficitaire. L’institution regroupait la chose médicale, scolaire et éducative. Comme cela se fait encore aujourd’hui, ce déficit de quelque chose résultait d’une comparaison constante entre l’enfant sourd et l’enfant entendant statistiquement normalisé, celui qui réussit. Dans ce parcours des dossiers, ce qui frappe c’est l’éloignement enfant /famille. Rapporté à l’époque, pour une famille, habiter à quelques kilomètres de l’établissement c’était déjà loin, pour celles dont les enfants habitaient la province c’était carrément l’autre bout du monde, à cela s’ajoutait l’internat comme seul mode d’accueil. Les familles demandaient de temps à autre une dérogation pour que l’enfant soit présent à une fête, pour qu’il rentre à la maison quelques jours avant la date officielle du début des vacances, ou qu’il regagne l’établissement quelques jours après la rentrée. Ces dérogations étaient difficiles à obtenir et les réponses des responsables n’incitaient pas à en redemander. Il y avait donc une distance réelle et temporelle qui séparait l’enfant de ses parents et de sa fratrie. Il se produisait un effet de délégation qui nourrissait l’espoir d’une normalisation de l’enfant par l’institution. Dans les faits, cet éloignement contribuait à créer une double filiation, d’un côté l’enfant avait comme point d’ancrage l’amitié avec d’autres enfants sourds, c’était une identification groupale, de l’autre il allait dans une famille, la sienne, dont il pouvait se sentir exclu. L’établissement admettait l’enfant sourd à la suite des conseils du médecin hospitalier qui avait posé le diagnostic. La méthode audio-orale promettait aux sourds de parler. Dans ce contexte de soins, la place des parents était réduite à rien. Quelquefois, alors que les parents avaient demandé l’admission de l’enfant dans l’établissement, ils se ravisaient et le récupéraient, il y avait de l’insupportable, ils ne pouvaient pas vivre séparés. En quelque sorte les parents préféraient s’arranger avec les moyens du bord et garder l’enfant à la maison. Dans ces deux situations, l’enfant éloigné durablement de la famille ou éduqué par la famille, l’image sociale de l’enfant sourd comme personne déficitaire suffisait aux uns et aux autres : « on s’en occupera et on fera tout notre possible ». Les parents déléguaient à l’institution le destin du sourd, elle devait le démutiser et l’éduquer, si cela se passait autrement l’institution trouvait dans la famille les raisons de l’échec scolaire ou langagier. La parole institutionnelle apparaissait comme légitime, cela ne pouvait pas en être autrement, elle ne formait pas les parents, elle ne leur offrait pas les outils pour enrichir les apports des professionnels, donc l’institution pouvait dire que les parents ou que la famille de l’enfant n’était pas adaptée aux besoins de l’enfant, ou qu’elle était frustre. Les convocations des parents avaient pour but de leur faire part des progrès de l’enfant ou des difficultés qui pourraient aboutir à l’arrêt de la prise en charge, mais rarement celui d’une demande de travail conjoint ou d’offre de formation. Ce mode de prise en charge avait aussi quelques avantages pour les parents : leur souhait que l’enfant soit un brin réparé trouvait un point d’ancrage et leur culpabilité reposait sur un ciment culturel solide telles la mauvaise fortune ; la punition divine ; le paiement de la faute. Si les résultats n’étaient pas à la hauteur des attentes, la famille désignait l’institution comme mauvaise. L’internat a changé, il accueille un tout petit nombre d’enfants à la demande des familles ou des professionnels (avec l’accord des parents). Nous évitons un éloignement géographique excessif et nous encourageons le retour au domicile si la situation de la famille le permet. En accueillant un enfant dans l’internat nous cherchons à ce qu’il soit dégagé de certaines contraintes qui grèvent son épanouissement. Bien qu’insuffisant, voire carencé, il est parfois la moins mauvaise réponse à la situation sociale, économique ou psychologique de l’enfant sourd.

3. Parents impliqués et formés.

Pendant plusieurs années, la bonne volonté ou des bonnes volontés permettaient aux parents de participer à la vie des services. Il était acquis que ceux-ci devaient être présents aux premières séances d’éducation précoce, en particulier aux séances d’orthophonie. Mais ce temps de présence dépendait beaucoup de chaque professionnel. Ce fut par le biais de l’éducation précoce que nous nous sommes aperçus qu’il ne suffisait pas d’accueillir les parents, mais qu’il fallait aussi expliciter leur place, leur rôle et surtout en quoi leur présence était nécessaire. Nous avons vu des parents qui basculaient dans l’imitation, dans une inflation des jeux « éducatifs » parce qu’ils avaient vu que cela se passait si bien dans le service et si mal à la maison. Mais aujourd’hui qu’est-ce qui a changé ? L’institution laisse-elle quelque place aux parents ? Si nous ouvrons le projet d’un service de soins en surdité ou d’un établissement, que lisons-nous ? Il existe un vaste éventail de possibilités et de techniques offertes à l’enfant et aux parents. Cet enrichissement des lieux de prise en charge enclencha chez les parents le sentiment de pouvoir décider par eux-mêmes du destin de leur enfant. Les lois successives , les nouveaux outils, les nouvelles technologies (dont l’implant cochléaire) renforcèrent ce changement vis-à-vis de l’institution. Avant la loi, des changements importants étaient dus à un accordage entre des parents qui voulaient être plus près des lieux qui s’occupaient de leurs enfants et des professionnels qui souhaitaient leur présence . En six ans, nos rapports aux parents ont été profondément bousculés. Leur rendre compte d’un projet pour leur enfant, signer un contrat, spécifier des objectifs, mettre à l’œuvre des moyens, leur remettre des comptes rendus, leur expliquer le contenu de notre travail a eu pour conséquence de modifier notre manière de parler et d’écrire. Peu à peu s’impose la règle du service promis, service rendu. Il n’est pas rare de voir de nouveaux parents choisir le menu parce qu’il répondrait aux besoins de leur enfant, batailler ferme pour que les professionnels acceptent un ensemble de prises en charge et négocier par la suite le nombre et la nature de prises des rendez-vous.

4. Les influences tierces.

En pratique, nous avons à faire à des réseaux de parents qui peuvent conseiller tel lieu plutôt qu’un autre. Les parents professionnalisés référents, liés à certaines associations, présentent leur expérience singulière et la réussite « oraliste » de leur progéniture comme l’exemple à suivre. L’organisation du dépistage précoce à J2 et les lieux d’accueil pour confirmation du diagnostic suggèrent tel endroit plutôt qu’un autre. Le projet de soins propose un centre oraliste, l’implant cochléaire, et une forte incitation à apprendre le langage parlé complété. Nous savons depuis quelques années combien l’annonce du diagnostic de surdité amène les parents, essentiellement entendants, vers la recherche d’une normalisation rapide de leur enfant. Cet agir est dirigé par une parole influente et peut déterminer la représentation psychique qu’ils se feront du sourd. La clinique nous montre que le mécanisme de défense qui enclenche cet agir dans l’urgence c’est le déni. Or une des particularités du déni est de diviser le sujet, de le scinder en deux. D’une part les parents ont bien entendu ce qui leur a été dit : votre enfant est sourd. D’autre part, ils refusent ce diagnostic. Octave Mannoni décrivait ce mécanisme de la sorte : JE SAIS BIEN MAIS QUAND MÊME. Le déni est invoqué en surdité pour rendre compte d’un refus inconscient individuel ou institutionnel de la surdité. Tout service qui permettrait aux parents de revenir vers l’instant d’avant le diagnostic, de retrouver leur enfant « entendant » est bon à prendre. La surdité fait violemment glisser les parents vers des lieux extra-ordinaires, hors norme parce que spécialisés. Néanmoins, une poussée constante, qui rappelle la pulsion, mène les parents vers une place normalisatrice pour leur enfant. Ils savent bien que leur enfant est sourd, que son état de sourd nécessite d’autres manières de faire, d’autres connaissances, pourtant jamais ils n’accepteront la surdité comme un état permanent, définitif : « un jour il guérira ». En surdité il n’y a pas de deuil de l’enfant entendant que l’enfant sourd aurait pu être. P-C Racamier écrivait “quels qu’en soient les degrés, il y a en tout déni de la violence. C’est un rejet, un véhément repoussement. Le déni […] n’est pas limité dans l’espace psychique […] (le déni) déborde ; par contiguïté, voisinage ou opposition, le déni emporte des pans entiers de la vie psychique. ” Le déni n’est pas limité à l’espace psychique, c’est une opération qui s’en prend “au dehors, elle s’en prend à l’objet – en tant qu’il est, cet objet, interne externe, c’est-à-dire placé dans une position mal définie […] il n’y a pas de déni dont l’objet sorte indemne. Le déni l’amputera d’une partie des propriétés qui lui sont dévolues”. Cette opération de déni, “déborde sur l’agir […] il n’y a pas de déni qui ne fait agir – agir le sujet lui-même, et agir les personnes de son entourage immédiat, lui aussi mobilisé par la pression du faire agir.” Lorsque nous reprenons les modes de prise en charge, ceux d’autrefois ou ceux de maintenant, nous notons que les relations entre les parents et les institutions sont toujours liées à l’espoir qu’elles suscitent : l’émergence de la langue orale, la structuration du langage, la scolarisation, la socialisation de l’enfant, etc. Ce constat nous révèle que, malgré l’évolution du Droit, les parents sont toujours dépendants de la parole d’autrui, qui oriente et détermine pour un temps leur action, en quelque sorte autrui est leur pensée. Cette délégation de pensée comporte quelques inconvénients, elle rend les parents dépendants des principes éthiques, cliniques, théoriques, bref des choix intellectuels que chaque professionnel a adopté au cours de son parcours.

5. Accompagner.

En 1991, j’ai commencé à travailler en surdité au CAMSP de la Norville dans le département de l’Essonne, puis à l’ADESDA à Guyancourt, dans les Yvelines. Les premiers parents eurent droit à ma sympathie et à mon incompétence, par la suite les autres eurent droit à mon expérience qui s’est enrichit grâce aux enfants et aux psychothérapies, aux parents, aux réunions avec les écoles, aux rencontres avec d’autres collègues, aux lectures, à mon travail clinique et théorique en psychanalyse et à l’ethnologie qui me permet d’aller fouiner dans les relations familiales et généalogiques. Parmi les questions qui surgissaient dans ma pratique de clinicien deux continuent leur cheminement sans que je puisse dire, voilà c’est comme cela qu’il faut faire pour que les enfants et les parents soient apaisés et puissent construire leur existence avec une certaine force de caractère. — Comment accompagner les parents sans inhiber leur créativité, leur inventivité ? — Comment offrir à l’enfant des points d’appuis pour que sa vie ne soit pas un long questionnement sur la déficience, mais plutôt un positionnement dans ce bas monde comme un sujet avec sa manière d’être ? Vous voyez que c’est avec une grande incertitude que nous les accompagnons parce que le diagnostic de surdité est déroutant, c’est une nouveauté qui repose sur une rencontre malencontreuse. Au quotidien, trois mots se sont cristallisés au cours des années : apaiser, informer, former. — Nous devons apaiser les parents, éviter un excès d’agir qui pourrait les épuiser. Un agir, un faire qui n’aurait d’autre signification que leur résistance à reconnaître la surdité, à assimiler des changements dans leur manière de s’adresser à l’enfant. — Nous devons les informer, leur dire ce que nous savons des possibilités de l’enfant sourd, des parcours qui pourraient l’aider à surmonter ses difficultés langagières et de communication avec les autres. Informer les parents c’est un acte de tous les jours, sur ce qui existe, sur les professionnels qui pourraient intervenir auprès d’eux et de leur enfant. Pour ma part, un psy qui informe est un psy qui s’engage dans le cadre de sa pratique, mon point de vue est dans la dimension du singulier, car il concerne ce que je peux saisir de la vie inconsciente de chaque parent qui, outre dans mon bureau, est déposée un peu partout dans l’institution. Je cherche à élargir la manière dont ils ont appréhendé ce qui leur a été dit ailleurs, sur le pourquoi nous avons fait comme ceci plutôt que comme cela. L’information a comme conséquence la formation des parents. — La formation en surdité permet de les sortir de leur état de parents-bébé (Piera Aulagnier). Du fait de la nouveauté des situations ils sont dépassés par la langue utilisée. Il existe des formations pratiques, nécessaires, concrètes qui leur permettent d’échanger avec leur enfant. Par exemple, la mise en place d’un lexique signé dense et de qualité, avant même qu’ils choisissent ou non d’apprendre la langue des signes française. Il leur permet de sortir des vieilles lunes de la communication mimo-gestuelle naturelle, qui renvoyait les familles et l’enfant sourd récréer un espace régressif où seuls les parents et proches pouvaient comprendre les demandes de l’enfant. Durant les premiers mois de la vie de leur enfant, les parents pouvaient bien interpréter les aspects universels des émotions humaines, les pleurs et ses intonations, le rire, les mouvements toniques du bébé qui signifient le contentement, le désagrément, le bien être, le malaise. Mais au fur et à mesure que le temps passait les parents poussés eux-mêmes par une expérience de la langue étaient demandeurs de retour de la parole de l’enfant. En quelque sorte les parents incitaient l’enfant à leur parler voire à préciser des choses. Nous savons que certaines surdités empêchent la transmission de la langue orale (seule disponible dans les familles entendantes) que les parents aimeraient donner à leur enfant . Le lexique signé leur permet de dire quelque chose à l’enfant et à celui-ci d’énoncer une demande qui sera comprise de la même manière par tous ceux qui possèdent le lexique signé en dehors de son cercle familial. La demande est explicite, nous n’essayons plus de deviner, ce qui a pour conséquence d’éviter son exaspération, sa colère ou son retrait. La surdité n’est plus la raison de l’incompréhension. Ou encore le langage parlé complété (LPC) comme moyen de se faire lire la langue, que l’enfant saisisse la parole orale dite par les parents, dont l’efficacité va bien plus loin que l’offre complète du modèle de langue donné à l’enfant. Si la famille pratique le LPC, c’est dans l’apprentissage de la langue écrite et dans l’écriture qu’il montre toute son efficacité. Mais dans ce domaine je laisse à d’autres le soin de mieux expliquer sa portée. La formation c’est la transmission de connaissances au moyen de rencontres périodiques. Nous accompagnons les parents pour les inciter à renoncer à certaines attitudes qui pourraient ralentir ou parfois empêcher l’épanouissement langagier de l’enfant, ces renoncements nécessaires sont différents du mot « acceptation de la surdité », que vous entendez par-ci par-là. Nous savons qu’il n’y a pas d’acceptation de la surdité dans les familles où la surdité n’était pas inscrite dans les identifications sociales, culturelles et individuelles et surtout dans leur langue.

6. Du bon usage du transfert par le psychologue.

En ce qui me concerne, on me demande certaines pratiques dans les services. Je souligne celle qui consiste à écouter les parents : ce sont ces psychothérapies qui peuvent durer quelques mois ou quelques années, elles défient l’orthodoxie du rythme des séances: une fois par semaine, tous les quinze jours, tous les mois, une fois de temps en temps. La porte du psychologue (ou du psychothérapeute) s’ouvre lorsqu’ils frappent, il y a toujours une minute pour échanger deux mots : convenir d’un rendez-vous ou pointer la chose qui les inquiète. Nous appréhendons leurs craintes, leurs certitudes, leurs hésitations. Il y a quelque chose qui n’a jamais changé chez les parents, malgré la prudence des discours des professionnels c’est leur rapport au temps de l’enfant et à leur temps. L’impatience et l’attente sont les lieux communs à tous les parents. Je prends l’exemple d’un enfant sourd qui vient d’être implanté. Auparavant les parents avaient rencontré l’ENFANT extraordinaire qui avec « son implant parle comme vous et moi ». L’exemple s’étend « il est très doué et à l’école ça marche super bien ». Quelques détails avaient été omis dans la présentation. L’enfant implanté fréquentait toujours le service de soins, voyait l’orthophoniste trois fois par semaine, la maman travaillait à mi-temps et dédiait un temps certain à son enfant. La rencontre avec un autre enfant, lui aussi implanté, qui oralisait pas mal, mais qui connaissait un parcours scolaire plutôt moyen n’avait pas été retenu par papa et maman. Au cours des entretiens les parents me font part de leur impatience de leurs inquiétudes : « il ne se passe rien, pourtant le troisième réglage a été fait ». Vous leur donnez le « A », ils veulent tout de suite « pa », « ta », « ma », « papa », « maman». — Il ne se passe rien ? — Si ! De petites choses, quand il y a un bruit il s’arrête, cherche. — Il se passe quelque chose alors ? — Oui, mais on n’a pas encore la voix. Puis vient la voix, les sons, le babillage, les jeux vocaux. Si nous ne faisons rien, si nous n’aidons pas les parents à patienter, l’émergence du vocal et tous les progrès en langue orale ne sont pas valorisés. L’attente des parents se découvre comme une attente idéale, l’enfant sourd devrait par un effet spontané se mettre à parler, il faut qu’il aille vite là où le désir parental d’avant la surdité le plaçait. Si tel est le cas s’ouvre une brèche vers la déficience comme noyau de la surdité : l’enfant doit viser la normalité, être quasi-entendant. Bien évidemment, il s’agit d’un mouvement inconscient qui trouve son origine au moment de l’annonce du diagnostic. Le temps des parents rapporté au temps de l’enfant est un temps pressé, l’impatience peut dominer. Notre travail, outre la reconstruction du narcissisme parental, doit leur permettre de retrouver en eux ou d’apprendre ces nouvelles qualités : la patience, attendre quelque chose de l’enfant, qu’il le sache, qu’il sache que vous attendez la parole qui sortira de sa bouche, le mot entendu et compris et qu’en même temps vous lui offrez du temps, reconnaissant la difficulté de la mise en place de la langue orale et de ce qui va suivre, surtout l’école et ses aléas.

Conclure.

La nouveauté pour les parents c’est l’instant où le médecin dévoile et fixe par un ou quelques mots les incertitudes et doutes des parents : « votre enfant est sourd ». C’est ainsi qu’ils entrent dans une autre langue, celle utilisée par les professionnels et les personnes qui sont concernées, parce que sourdes, pour parler de la surdité. Agir et penser sont antonymes du moins si vous les mettez dans cette ordre, penser et agir sont complémentaires ce qui ne préjuge pas de la qualité des effets de l’action mais au moins nous avons conscience d’y être pour quelque chose. Les parents, dans ce temps premier, sont en situation d’agir sans avoir trop pensé parce qu’ils n'ont pas les moyens de penser, et ce malgré l’épaisseur du dossier qu’ils promènent sous le bras. Ce dossier témoigne davantage de leur angoisse que de leurs connaissances. Notre travail est complexe car nous nous heurtons à des histoires singulières fragilisées par l’irruption de la surdité. Chaque famille a une demande spécifique qu’il faut accompagner, et en déployant leur discours nous pouvons entrevoir les renoncements à venir. Renoncer ne veut pas dire accepter, cela veut dire mettre de côté, faire un travail intellectuel et affectif pour ne pas insister là où les choses impossibles à réaliser enclenchent de la souffrance voire forment le socle des futures pathologies du langage ou de psychopathologies qui auraient pu être évitées. « Redécouvrir de soi-même en soi même implique un changement d’orientation […] vers l’intérieur […] un mouvement vers la profondeur » , telle serait notre ambition dans ce travail d’accompagnement des parents. Didier Anzieu parlait de l’amour en disant qu’il y a « un bon et un mauvais usage de l’amour. L’amour n’est pas que générosité : on peut écraser ou étouffer quelqu’un sous les cadeaux empoisonnés qu’on lui fait […] L’amour fait preuve d’intelligence quand il contribue à construire, chez l’enfant, chez l’ami, chez la compagne ou le compagnon, une enveloppe souple et ferme qui le délimite et unifie – une écorce pour son tronc, de l’oxygène pour ses feuilles, une peau vivante pour ses pensées. ». Nous saurons, après plusieurs années, si ces rencontres parents/professionnels ont en partie contribuée à donner à l’enfant une « enveloppe souple et ferme » parce qu’ils l’auront accueilli ses singularités, dont la surdité. Ce sera la preuve qu’un acte d’amour, malgré la détresse, a été possible.

Eduardo Plaza Oñate. Psychanalyste

Voir les commentaires

LAS ARPILLERAS

Publié le par E.P.O.

LAS ARPILLERAS
LAS ARPILLERAS

En 1979, les étudiants de l'Universidad de Chile avec les femmes des quartiers populaires créèrent Les Arpilleras. Un rêve de bonheur et de démocratie en pleine dictature.

Voir les commentaires

La rencontre.

Publié le par E.P.O.

La rencontre.
La Rencontre
Atelier d’écriture. Les Ulis 21 mars 2015.
Marion voyagea toute la nuit, la tête pleine des rêves d’un autre temps. Elle avait les souvenirs précis de leurs promenades au Jardin de Luxembourg, les jeudis soir, après les cours à l’école de médecine. Leurs regards se cherchaient et leurs baisers ardents fendaient leurs lèvres.  Suis-je désirable ? se demandait-elle. Suis-je belle encore? Me désire-t-il ? Presque quarante ans d’absence effacés par treize heures d’avion.
Devant le Musée d’Orsay, elle demanda à un policier la Passerelle Léopold Sédar Senghor. Elle longea le quai Anatole France. Dans l’après midi doux de ce mois de juin, Marion marchait sur la passerelle. Elle était habillé d’un tailleur qui dessinait  son corps de femme, remodelé par quelques entailles ici et là. Le chirurgien lui avait apporté un répit dans les retrouvailles avec un corps qu’elle ne voulait pas laisser partir vers son âge. Marion avait-elle soixante-huit ou soixante-neuf ans. Elle souriait et se disait que 69  était un joli nombre, bien plus sensuel. Une année entière de plaisirs. Elle se redécouvrait coquine.
Mario regardait la pente douce du pont. Il se demandait pourquoi avait-il choisi ce lieu comme point de rencontre ? Des centaines de cadenas étaient accrochés aux barreaux des parapets du pont. Les touristes chinois photographiaient ces bouts de métal où des couples avaient inscrit « Pour l’éternité », « Toi et moi pour toujours ». Combien respectaient encore la promesse de l’acier rouillé ? Étaient-ils ensemble ? Il toucha la peau de son cou, un peu relâchée, regarda ses mains où des taches brunes s’étaient inscrites ici et là comme un message. Mario fut sorti de sa rêverie, qui se berçait sur les eaux calmes de la Seine, par une main qui lui caressa son épaule gauche. Le paysage du liquide et de ses reflets de lumière se dissipa. Dans son regard il avait la certitude d’une présence nouvelle.
Que pouvaient-ils se dire ces deux amoureux du passé. Qu’étaient-ils sinon mémoire. L’étreinte fut intense d’émotion et délicate pour ces corps qui portaient chacun les maux du temps. La nudité de leurs visages s’offrit à leurs yeux. La nudité qui disait : accueillons-nous, laids ou beaux, accueillons-nous. A quoi bon pleurer, le fleuve était là pour cela.

Voir les commentaires

Le Passé Simple.

Publié le par E.P.O.

Chère Marion,

Le printemps de ton écriture traverse mon corps et le temps. L’enfant que je suis dans mon âme sent les caresses de tes mots. Quelle est notre liberté ? Un collier autour du cou comme un lien, comme une attache. Un collier qui porte toutes les pierres de notre histoire. Stèles, pierres tombales, lieux de nos secrets et de notre intimité, autant de souvenirs de nos amours et de nos défaites. Nous restons ainsi liés aux êtres, à leur brillance et à la peur de les perdre. Où suis-je en bas de l’escalier de tes souvenirs ? Occulté ? Protégé peut-être ? La parole est terrible, elle nous aide et nous libère malgré nous. Dire c’est tuer la chose. Dire c’est libérer les souvenirs, dire c’est regarder notre existence, sans fard.

Mon printemps repousse doucement l'hiver avec ses caresses de vent et de pluie. Je te reprends la belle saison et te la rendrai bientôt.

Besos y ternura

https://www.youtube.com/watch?v=eAqN8HQgFEg Deux ans dans l'éternité. Merci.

https://www.youtube.com/watch?v=eAqN8HQgFEg Deux ans dans l'éternité. Merci.

Voir les commentaires

MD sur mon balcon

Publié le par E.P.O.

En visite chez moi.

En visite chez moi.

Voir les commentaires

Ella quelque part.

Publié le par E.P.O.

Ella quelque part.
Ella quelque part.

Tu es liée à moi quelque part par ici.

Voir les commentaires