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Mon rêve... la route de San Pedro de Atacama

Publié le par E.P.O.

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Mon rêve... revoir le désert d'Atacama.

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Le salut des danseurs.

Publié le par E.P.O.

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Le salut de danseurs.

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Enfants

Publié le par E.P.O.

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Sauvé des Sots 2. Relecture.

Publié le par E.P.O.

Chaque samedi midi, ils recevaient l'argent avec lequel ils soldaient leur dette de la semaine à la pension. Le samedi soir et le dimanche, les plus riches allaient au centre ville chercher la belle qui finirait d'éponger les porte-monnaie. Pour éviter que les hommes ne quittassent son établissement pour des quartiers plus animés, Elsa eut l'idée d'organiser un petit bal, chaque samedi, dans la salle à manger. Les belles nuits d'été, on passait dans la cour. Elsa toléra tout de suite la présence de jeunes filles qui habitaient le quartier. Discrètement, elle laissa entendre que, moyennant quelques pièces, elle fermerait les yeux sur ce qui pourrait se dérouler dans les chambres. Elle tint parole ; elle ne voyait pas, elle n'entendait pas, elle ne parlait pas : elle faisait du commerce.

Un respect naïf envers leur patronne interdisait à Luisa et Lola de profiter des avances des jeunes gens. Elles assistaient tout en regard aux embras-sades, aux jeux de séduction, aux départs des couples et à leurs retours, elles remarquaient le ravissement de leurs sourires. Au petit matin du dimanche, après avoir fini de mettre de l'ordre dans la salle, elles retournaient épuisées dans leur chambre commune. Peu avant de se mettre au lit, elles se regardaient, rapprochaient leurs lèvres et s'embrassaient. Elles étaient emplies de désir et cet instant qui précédait le sommeil leur suffisait. Un rire de vie jeune s'échappait de leurs bouches belles lorsqu’elles constataient que leurs culottes étaient trempées et leurs vagins glissants au toucher. Là s'arrêtaient les jeux érotiques. Élevées dans un même quartier auprès des mêmes personnes, elles avaient les empêchements de l'enfance, interdits superflus à l'âge adulte et source d'ignorance. Le sexe était devenu un torrent de promesses non tenues. Elles se remémoraient les avertissements de leurs parents : elles étaient pécheresses et en même temps innocentes. Papa et maman avaient recommandé, se souvenait Luisa, de « ne pas embrasser les garçons ». Alors elle embrassait sa copine de chambre sans s'en in-quiéter, puisque cette recommandation-là, elle ne l'avait jamais entendue.
Elsa, toujours à la recherche d'une esthétique des lieux et des êtres, eut l'idée de teindre les cheveux des filles en blond. Elles trouvèrent l'idée bizarre mais acceptèrent ; de toute façon, elles n'avaient pas le choix. Le contraste entre leur peau basanée et la couleur de leurs cheveux leur donnait un genre qui attirait les hommes.
Les vieilles, qui passaient leur temps devant la porte de leurs maisons, regardaient la pension d'un œil mi-amusé, mi-indigné. Elles ne s'ennuyaient guère : c'était grâce à la pension que leur langue avait du tonus et leur esprit de la vivacité. Elles étaient des vipères sans peur.

Les premiers temps, Luisa et Lola furent seule-ment regardées ; Elsa veillait à leur intégrité. Dans son esprit, les jeunes filles faisaient partie de la décoration. Le décor, c'est du toc, mais on ne l'abîme pas : c'est fait pour faire beau.
Hélas, les jeunes filles voguaient déjà sous des latitudes chaudes et humides. Luisa fut la première à succomber aux charmes d'un jeune homme qui travaillait à l'usine de peinture.  À l'aube,  il  restait pour aider Luisa à ranger la salle, laver et  jeter  les  détritus.
Miguel était né à La Calera. Il avait pris une demi-pension chez Elsa dès le premier jour de son engagement à l'usine. C'était un joli garçon avec, au milieu du visage, un nez métis, une arête diagonale parfaite et des yeux marron. Ses joues creuses et sa peau mate lui donnaient l'air d'un assassin cher-chant sournoisement quelque cœur à tuer : depuis plusieurs semaines, c'était celui de Luisa qu'il avait choisi.
Un samedi soir, à l'heure où les corps commen-çaient à échapper à l'âme, où les danseurs succom-baient à l'hallucination de l'alcool, où l'élégance des premiers instants du bal laissait place aux odeurs nauséabondes des pets et du vomi, où les manières délicates des hommes envers les jeunes femmes devenaient sauvages, Miguel aborda Luisa. Les mains qui caressaient l'épaule douce, là où la robe laissait à nu une peau d'abricot, s'oubliaient pour dévoiler le désir et cheminaient sans permission, tuant la pudeur, droit vers le vagin. Luisa avait perdu les remparts moraux qui protégeaient la citadelle : elle se retrouva nue, envahie par le désir de Miguel.

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Sauvé des Sots 1. Relecture.

Publié le par E.P.O.

                                      

                          La ville était surnommée La porte du nord.

De La Calera, étape obligée entre Santiago et Valparaiso, on partait sans cesse, certains pour ne jamais y revenir.
Le train qui circulait entre les deux grandes villes s'arrêtait quelques minutes. On achetait des gâteaux, quelques boissons ; d'autres descendaient pour entreprendre leur lent voyage vers le nord du Chili dont ils rapportaient de quoi nourrir plusieurs bouches pendant des mois. Les voyageurs promenaient leurs regards distraits sans remarquer d'abord la couche de poussière qui recouvrait les maisons. Entre deux trains, un long midi à crever de chaud, et l'ennui qui se déposait jusque sur l'espoir. Les hommes attendaient ce qui, un jour, les  réveillerait.
La cimenterie déposait la poussière jour après jour sur les toits des maisons, entre les doigts qui s’apprêtaient à découper une viande proche de la charogne. La viande pourrit vite, dans les régions chaudes. En manger de la fraîche est un luxe. La plupart des gens préféraient la faire sécher : ils appelaient cela, du nom indien, le charqui  La poussière se déposait sur le vin que Ton s'apprêtait à couper avec de l'eau, question de rentabiliser le chuïco  ; la poussière se déposait sur la salade de chou vert, recouvrait la nappe dressée pour le dé-jeuner des ouvriers et faisait ressortir les toiles d'araignées accrochées au plafond ; la poussière matérialisait la lumière solaire qui s'infiltrait au petit matin à travers les rainures du bois mal ajusté des fenêtres, effiloché comme un vêtement usagé ; la poussière faisait cracher aux ouvriers de la cimenterie des mucosités violacées et noirâtres : c'étaient les poumons qui tombaient en poussière.

Dans la ville, au croisement dit de las très esqui-nas, les trois coins, un petit hôtel-restaurant propo-sait la pension complète et plus « si affinités ». C'était une petite maison qui logeait les jeunes ouvriers d'une usine de peinture. Le matin, une dizaine de pensionnaires traversait la rue et s'engouffrait dans les odeurs nauséabondes de l'usine. À midi, ils étaient vingt à traverser la rue dans l'autre sens pour occuper les trois longues tables de la salle à manger.
La façade n'annonçait rien. C'était par connais-sances que les gens arrivaient chez Elsa, une belle brune à l'autorité ferme, « petite taille et grande gueule ». Elle gérait seule son affaire : son mari était parti travailler dans le nord. Les mauvaises langues racontaient qu'il avait continué plus loin encore, dans l'intention de ne plus revenir.
Elsa n'avait pas d'enfant. Le jour où elle se rendit compte que son mari était parti pour de bon, elle le pleura et le haït profondément, mais sans jamais le maudire en public. Un livre racontait le martyr d'un homme puni qui, les couilles à la main, marchait droit vers la mort dans d'atroces douleurs ; elle l'imaginait ainsi, perdu au milieu du salar d'Atacama. Un soir, elle lava son mouchoir humide de larmes puis le laissa sécher toute la nuit. Au petit matin, elle le brûla en imaginant son mari qui s'adossait à un rocher et s'asséchait, ne devenant pour finir qu'une tache imprimée sur le minerai, comme un mystère.
Elle apprécia sa nouvelle liberté. Autrefois trop amoureuse, elle était devenue bête, un miroir de la bêtise de son homme: son absence lui permit de se mettre à penser. Une étrange sensation parcourait son corps chaque fois qu'elle imaginait le lendemain. Elle chercha la survie et découvrit la vie.

Après le départ de son mari, tout avait commencé le midi où un jeune ouvrier venu de Chigualoco, un minuscule village situé au bord du Pacifique, près de Los Vilos, était venu lui demander si elle pouvait lui faire à manger pour quelques piécettes. Elle avait accepté et, peu à peu, les ouvriers de l'usine qui n'avaient pas de famille s'étaient retrouvés chez elle, qui leur prodiguait nourriture et réconfort. Elle en vint à proposer des lits pour la même raison. Une demande, puis d'autres, ainsi aménagea-t-elle dans la cour, derrière la maison, des cagibis qui servaient de chambres. Et sa maison se transforma en hôtel-pension.
Si, au début, elle pouvait tout assumer seule, elle fut très vite dépassée par le nombre des tâches. Elle fit un tour au centre ville et trouva deux jeunes filles, deux belles indiennes venues du sud du Chili qui étaient descendues à La Calera par ignorance, par analphabétisme.
Elles devaient aller jusqu'à Valparaiso et s'étaient crues arrivées quand le train avait fait escale à La Calera. Il leur avait fallu un certain temps pour comprendre que Valparaiso était une ville au bord de la mer. Elles avaient alors pris l'habitude d'aller au centre ville, chaque fin de semaine, et de demander aux passants où se trouvait la mer. Les gens tendaient leur bras en direction de l'ouest et elles marchaient pendant des heures. Épuisées, elles revenaient à leur point de départ : il fallait vivre, gagner de l'argent. Lorsqu’Elsa leur proposa de travailler avec elle, elles entrèrent tout naturellement à son service.
Ce fut à l'hôtel-pension qu'elles apprirent que La Calera n'était pas Valparaiso. Luisa, la plus jeune, garda secrètement l'envie de continuer son voyage jusqu'à la grande ville.
À l'hôtel, elles mettaient les couverts du petit-déjeuner, préparaient le thé, découpaient le pain qu'elles avaient fabriqué le dimanche pour toute la semaine dans un four en terre cuite. La matinée, elles préparaient le déjeuner, disposaient les nappes, coupaient le vin avec de l'eau et, peu avant l'arrivée des ouvriers, se faisaient belles. Elsa avait remarqué l'attirance que les jeunes filles exerçaient sur eux. Une atmosphère de gentille et gaie festivité fut la trouvaille qu'elle imagina pour les dépouiller complètement.

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Enfants...

Publié le par E.P.O.

 

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Enfants...

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... il est temps d'oublier

Publié le par E.P.O.

A l’école je voulais que tu apprennes vite à lire et à écrire. Pourquoi ?

Quand tu es né, je t’ai vu bleuir. Les infirmières t’ont arraché à la douceur de la peau de ta maman, qui attendait douloureuse la récompense à sa peine. Tu n’avais pas pleuré. J’ai suivi les médecins derrière une porte, ils t’ont posé sur une table que j’imaginais froide. Ton petit corps, sans amour, sans tendresse, était manipulé par des mains qui voulaient te sauver. Ils se sont aperçu de ma présence et mon jeté derrière une porte. Nous fûmes séparés.
Je suis allé voir ta maman pour la consoler.  Elle m’a tenu la main. Une infirmière  m’appela pour me dire de suivre une ambulance qui te transportait vers un hôpital parisien. Avant de partir, j’ai téléphoné à mes parents pour leur dire que tu étais mal né. Puis j’ai pleuré longtemps. Dehors des gros nuages couvraient le ciel d’avril. L’ambulance roulait lentement, le gyrophare, sa lumière bleu revenait vers moi. A l’hôpital un jeune médecin est venu me voir. Ses mots me firent comprendre que tu n’étais pas encore notre enfant, que tu étais seul entre la vie et la mort. Seul.
Au troisième jour, je suis arrivé à l’hôpital très tôt. Je me suis avancé vers ta chambre et je ne t’ai pas vu. J’ai eu peur. L’infirmière est venu me voir, elle avait compris ma détresse. « Ne vous inquiétez pas  il va bien ». Bien !!! Tu étais plein de tuyaux, de fils, des aiguilles trouaient ta peau, j’avais mal pour toi. Elle voulait dire que tu étais désormais dans le mode de vivants.
E.E.G. Tu dormais dans mes bras, maman était à côté de moi. La pédiatre t’avait mis de fils partout sur la tête. Des examens, des examens encore pour vérifier si tu allais bien, si ton cerveau n’avait pas souffert.
C’est mon cerveau qui est resté en panne pendant de nombreuses années avant que je ne cesse de m’alarmer.
Tu vois pourquoi je voulais que tu apprennes vite à lire, vite à écrire. J’étais angoissé, je n’avais jamais été rassuré par les médecins, qui laissaient toujours un doute, toujours un non dit. Je n’étais pas patient avec toi, je me fâchais de que tu n’arrivais pas à travailler. Tout à été difficile pour toi. L’école, les tables de multiplication. Aujourd’hui tu es grand. J’aime ta force, tu sais que pour faire quelque chose tu dois te forcer, mais j’ai appris à vivre avec toi, à reconnaître tes efforts. Après dix-sept ans…je t’aime.

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Tu étais un enfant

Publié le par E.P.O.

Te souviens-tu ? Non ! Tu étais encore un petit enfant, maman et moi nous te suivions, nous te regardions, avec ton camion, bien assis tu montais la pente péniblement, tu devinais le bonheur de basculer dans la descente. Nous nous regardions, nous trouvions que tu allais trop vite, pauvres chaussures, tu te débrouillais pour freiner, alors le cuir maltraité, si ton grand-père t’avait vu, il aurait dit : Quel malheur de si belles petites chaussures, qui coûtent si chères, il les abîme si vite". Nous suivions le parcours sinueux du parc de la ville, tu t’arrêtais regarder les canards, tu jouais avec du sable humide. Plus loin tu t’arrêtais encore cueillir une pâquerette que tu offrais à ta maman. De retour à la maison tu buvais un jus de fruit et de l’eau. Je ne sais pas pour quelle raison nous t’achetions des gâteaux en forme d’animaux ; des tigres, des lions, des singes que tu dévorais, c’était un carnage sur la table de la salle à manger, maman ramassait les ossements-miettes avec une balayette.

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La promesse et ses consequences. Relecture

Publié le par E.P.O.

LA PROMESSE ET SES CONSEQUENCES

 

― Dépêche-toi Sebastián ! répéta Esteban.

― Pars sans moi, je te rattrape. On se retrouve à l’intérieur de la Cathédrale, répondit Sebastián qui frottait son pantalon pour faire disparaître une tache de thé.

Un vent froid traversait la ville, une forte lumière solaire rehaussait les objets, un voile bleu adoucissait la tension politique dans le pays. Il n’insista plus, sa mère le pria de changer de pantalon. « Tu finiras par le trouer », lui dit-elle. Sebastián se dépêcha. Ne voyant aucun autobus descendre la rue, il décida d’aller à pied jusqu’à l’avenue Santa Rosa, parce que les bus vers Santiago-Centre y étaient plus nombreux. À une centaine de mètres de l’arrêt, un jeune homme s’approcha de Sebastián. La rue déserte lui procura le courage nécessaire.

― Eh ! Tu peux me faire un petit truc ?

― Quel petit truc, tu veux ?

― Une pipe ! Il osa dire ce mot à voix basse en s’assurant que personne n’entendait.

― Pas de petit truc gratos.

― Ok, viens chez moi, je suis tout seul.

Ils entrèrent dans l’une des maisons de San Gregorio. Sebastián vit le corps sans attrait d’un homme maigre au ventre tout rond. « Une bidoche Escudo[1] », pensa-t-il. Dans un recoin de la chambre s’amoncelaient des bouteilles de bière vides.

― Eh ! t’as la bite propre ? Sinon je ne fais rien, avertit Sebastián.

― Propre ma poule, elle brille même.

La fellation dura le temps d’un battement de cils. Sebastián demanda son argent. Mais il ne reçut que des injures.

― Casse-toi, sale pédé !

― Paye-moi ! Insista Sebastián.

― Casse-toi sale con, tu ne sais même pas tailler une pipe, vire !

Sebastián comprit qu’il valait mieux abandonner. Il prit le bus. Il descendit peu après l’Alameda Bernardo O’Higgins. En s’apercevant de son retard, il se mit à courir, ouvrit la porte de la Cathédrale, Esteban l’accueillit sèchement.

― Un peu plus et j’étais plein de toiles d’araignées du con ! Pourquoi t’as mis tout ce temps ?

― Ça va, ça va ! Viens on va traîner sur la Place.

Esteban devina l’inquiétude de son frère et ne demanda plus rien.

 

Sur les anciennes étendues des champs florissaient désormais les maisons. Les trèfles ondulaient au vent, seul voile végétal qui résistait à l’urbanisation. Les nuages blancs se défaisaient, le ciel bleu coquet séduisait la foule pauvre qui se pressait au marché de la rue Los Vilos. Les cris de marchands vantaient les bons produits et le petits prix. Tout était coloré. Les deux frères achetèrent des fruits, des légumes et finirent leurs courses par la poissonnerie. Esteban demanda deux cabillauds avec les têtes et desquamés. Le poissonnier les enveloppa dans des feuilles de journal. Esteban les déposa dans le cabas, prit l’argent dans sa poche mais son frère l’empêcha de payer.

― Non ! Aujourd’hui, c’est cadeau ! Pas vrai connard ? brailla Sebastián en regardant le jeune poissonnier. Allons-nous-en ! Ils n’avaient pas fait trois pas lorsque le jeune homme les rattrapa.

― Pas de cadeau ! Vous me payez et je vous fais cadeau du papier journal et des infos.

― Toi, tu payes  d’abord ! répondit Sebastián.

― Ça va la tapette ! C’est pour ça que tu me zyeutais, tu veux encore ma queue ! Il poussa violemment Sebastián. Son frère le retint par le bras et le remit d’aplomb.

― T’as aimé la pipe ? Ouais ? Alors tu me donnes le poisson ! répliqua Sebastián.

Il esquissa un pas pour poursuivre sa marche, s’arrêta, se tourna vers le garçon : « Tiens ! Prends tes merdes ! » Furtifs, leurs regards se croisèrent. Le poissonnier prit les cabillauds en pleine figure et son nez saigna abondamment. Esteban le fit basculer par un croc-en-jambe. L’horizon du commerçant changea. Le macadam se précipita sur son visage. Il resta ventre à terre, les yeux vitreux des cabillauds le regardaient. « J’espère que personne ne saura que j’ai baisé avec un pédé », se dit-il en s’assurant que les jumeaux n’étaient plus à ses côtés. Les badauds crièrent : « Les carabiniers !»

 

― Qui a vu quelque chose ? demanda l’officier.

― Moi monsieur ! dit le King, passablement éméché.

― Alors racontez !

― Les petits pédés de la rue Linares ont tapé ce gars qui n’avait rien fait.

― Vous êtes sûr que celui-là n’a rien fait, parce qu’il est toujours mêlé à des embrouilles ! dit le carabinier qui soulevait le garçon tout barbouillé de sang.

― C’est vrai, je n’ai rien fait monsieur ! répondit-il en faisant un clin d’œil au King.

― Les tantouses voulaient partir sans payer ! accusa à nouveau le King. Je peux vous montrer où ils crèchent, si vous voulez ?

― Allons-y alors.

― Eh ! Je veux bien mais je ne descends pas du panier à salade. Ils sont capables de me casser la gueule !

Le fourgon roula dans les rues du voisinage. Le King leur montra la maison, mais il descendit du véhicule deux pâtés de maisons plus loin. La police revint dans la soirée, suivie d’une ambulance de l’hôpital psychiatrique. Les carabiniers ouvrirent le portillon du jardin et forcèrent sans difficulté la porte de la bicoque. Les frères furent immobilisés par les infirmiers qui leur injectèrent, à travers les vêtements, une dose de sédatif. Ils voulurent se débattre mais leurs corps ne leur appartenaient plus. Attachés avec deux camisoles de force, les infirmiers-matons les poussèrent dans l’ambulance, à coups de pieds aux fesses.

 

Pedro se sentait important chaque fois qu’il lisait dans les magazines et les journaux de gauche les déclarations enflammées des dirigeants du Parti : « Nous voyons en le Parlement une tranchée depuis laquelle les représentants de la bourgeoisie tirent contre le gouvernement populaire et contre le peuple. C’est pourquoi il est important de les battre dans cette bataille. Une défaite de l’Unité populaire serait une victoire objective de l’Impérialisme américain et des monopoles […] C’est cette force qui nous permet d’avancer et d’utiliser le gouvernement comme un instrument pour conquérir le pouvoir ». Il ferma le journal Chile Hoy et s’en alla en courant le montrer à ses amis. Sur le trottoir, il vit la méchanceté des hommes qui les bousculaient. Esteban ferma les yeux, il voulait lui dire « Ne t’inquiète pas ».



[1]. Escudo : Ecusson ou Bouclier

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Le temps des petites morts

Publié le par E.P.O.

  Raconte-moi!

-         J’ai fait un cauchemar cette nuit. Il y avait une plage de sable, immense. Sur la plage il y avait des hommes qui venaient là pour mourir. Ils mouraient tous. Certains étaient assommés d’autres attendaient leur mort en lisant un journal. Je voyais l’homme qui s’affaissait, qui lâchait le journal, les feuilles s’envolaient emportés par le vent…

 

-         Moi ça me rappelle une chanson pour les enfants, tu te souviens : « colchiques dans les près fleurissent, fleurissent, colchiques dans les près c’est la fin de l’été/ La feuille d’automne emportée par le vent en ronde monotone …

 

-         Bon, je continue. Je voyais  des hommes en tas. Il y avait David, Christian et d’autres, au-dessous j’ai reconnu  Florian, mais il était plus jeune, plus petit que maintenant. Soudain, à côté de moi, un enfant passe en courant, il portait un maillot de corps qui appartenait à Florian. Je m’approche du tas d’hommes, je caresse Florian et je lui dis « mon petit amour, mon chéri ». Tu es à côté de moi, tu es le seul à ne pas être encore mort. Je me suis réveillé et j’ai pleuré, j’étais inconsolable cette nuit, je n’ai pas osé te réveiller.

 

Elle faisait le tri des vêtements d’été de son fils, qui depuis un an avait beaucoup grandi. Des chemisettes, des belles chemises presque neuves finirent dans un sac et données à un enfant. Le miroir, elle se regarde beaucoup dans le miroir, puis s’est fait belle. Se plaint parfois auprès de son mari d’être vieille. C’est vrai qu’elle vieillit, une femme ne se trompe pas lorsqu’elle demande à son homme : « comment tu me trouves ? » et que son homme répond « pas mal ». Les enfants grandissent et leur montrent par leur présence qu’ils vieillissent, qu’elle vieillit. Autrefois elle se faisait belle, aujourd’hui elle s’entretient, ça  change tout.

Puis, les enfants, qui faisaient d’elle une maman encore jeune, la font basculer dans une maman des grands enfants. Florian ne cesse d’être amoureux, amoureux d’une autre femme que sa maman. Le deuil, les ruptures que les parents doivent faire, ces petites morts dans cette vie, sont ainsi faites. Les enfants leur échappent, ils deviennent peu à peu d’autres. Ils l’ont sans doute toujours été, mais les parents les voulaient un peu comme ils les imaginaient. Ils le sont un peu, ils restent leurs enfants, ils sont beaux, ils font briller leurs parents de leur beauté d’adolescent ou de jeune adulte, mais l’enfance est morte. Les hommes sont toujours sur une plage pour mourir, au bord d'une mer qui n'épuise jamais ses larmes... Dans le silence de la nuit nous entendons le resac des vagues.

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