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Mon ami l'humain. Esquisse.

Publié le par E.P.O.

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Mon Rêve... Partage mes rêves d'automne.

Publié le par E.P.O.

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Cenizas 11. Relecture 31 janvier 2013

Publié le par E.P.O.

Dès le premier jour où il fit demi-tour il alla retrouver un groupe d’enfants “sauvages”. Ils se réunissaient au carrefour à quelques mètres de sa maison, vite il apprit à jouer aux dés, aux craps, il prenait dans les poches de son père quelques pesos pour miser. Floué par les grands, écrasé par leur violence il n’osait protester. Le soir, après la collation de six heures, il demandait à sa maman la permission de retrouver ses amis, « sois sage », lui disait-elle. Soledad, au courant de rien, n’avait que son rêve de bonheur : son fils était un innocent.

 

Autour d’un feu de bois chacun racontait ses exploits sexuels, ils étaient âgés de sept à douze ans. Marcelino écoutait sans comprendre, les yeux grand ouverts voulaient voir les images évoquées par tous ces mots, son esprit fut enchanté des récits des grands. Sans pouvoir nommer son émoi, sans pouvoir contrôler son corps, il se trouvait excité sexuellement. Il trouva en la personne d’un voisin de quoi s’initier à la vie sexuelle, ils passèrent de longs après-midi à explorer leurs corps. Ils s’embrassaient passionnément comme au cinéma, ils finirent par trouver le seul trou disponible dans leur corps, ignorants qu’ils étaient du corps des filles. Ils s’épuisèrent à se sodomiser, recommençaient encore sans connaître de jouissance, sans avoir d’orgasme.

Marcelino était devant la boucherie chevaline avec deux autres enfants, ils comptaient l’argent.

 

      Monsieur, nous voudrions trois steaks pas trop gros ! demanda Marcelino.

      Monsieur pourriez-vous nous donner des steaks de jument seulement ? ajouta l’un d'eux.

Le boucher riait, « n'importe quoi, des steaks de jument ». Il découpa trois morceaux de viande qu’il enveloppa dans du papier journal. La nuit tombée, ils s’éloignèrent dans les champs, la lune éclairait leur univers. Avec des brindilles ils firent un feu minuscule. Tous les trois avaient entendu parler les grands d’el placer de la carne [1]. Chacun prit son steak, Marcelino, comme les deux autres, le posa sur la paume de sa main qu’il approcha de son pénis en érection, il serra sa main et se masturba jusqu’à avoir un orgasme. Ensuite ils restèrent hébétés, c’était donc ça faire l’amour avec une femme.

 

Les soirs de feu étaient toujours dominés par Manos de Seda, le plus violent de tous, les autres lui obéissaient sans protester. Grands maintenant, ils osaient s’aventurer plus loin, ils sortaient de leur territoire délimité par l’odeur de leur urine et les traces verdâtres de leurs crachats sur une terre sèche. Manos de Seda, le chef, les amena vers la población Malaquias Concha. Ils s’arrêtèrent devant la maison de Fabio, un ouvrier paysan qui vivait un deuil profond, quelques jours auparavant il avait enterré son fils aîné.  Manos de Seda aperçut Rosa, une belle fille au type indien, il s’en approcha, ouvrit la porte du jardin et se jeta sur elle. Tous les enfants vinrent aider Manos de Seda à la plaquer à terre, il déchira la robe, rageur il enleva la culotte, il la voulait toute nue. Un homme surgit, le visage carré, creusé de peine et de fatigue, dans sa main droite il tenait une laisse qui empêchait un molosse aux crocs blancs, énormes, de dévorer la troupe sauvage. Manos de Seda et les autres sortirent leurs couteaux, ils eurent peur. Fabio regarda Manos de Seda, un regard profond rempli d’un enfer de désirs assassins détailla chaque endroit du corps du jeune adolescent-loup insolent. Il approcha sa fille sans la regarder, atteint d’une immense pudeur il la plaça derrière lui, il reculait pour entrer dans la maison. D’un coup il lâcha la laisse qui retenait le chien, ses crocs se plantèrent dans la jambe de Manos de Seda qui abandonna un morceau de chair du mollet dans la gueule du chien. Le long de la rue poussiéreuse, de retour à leur quartier il hurlait de douleur, les autres sauvages étaient déjà loin.

 

La rue Punta Arenas marquait la limite de la población, au-delà s’érigeaient les plantations de maïs, elles masquaient l’horizon proche. Les épis arrivés à maturité, leurs blonds cheveux sortaient de leur enveloppe, bientôt récoltés et vendus dans les marchés de la población. Les plats traditionnels, à base de maïs, attendus comme autant de fêtes renouvelées répandaient leurs parfum : maïs, basilic, haricots à écosser, piments verts, coriandre. Dans les quelques jours qui suivirent, sa morsure à peine guérie, Manos de Seda avait repris sa place de chef aux commandes de nouveaux méfaits. Un homme l’intriguait, il frappait aux portes des maisons, donnait des petits paquets plats et recevait de l'argent en contrepartie. L’homme tout maigre et jeune portait en bandoulière une sacoche, il marchait sans se presser. Les sauvages le suivaient chaque jour plus près sans que l'homme s'en douta. Ils voulaient connaître son parcours. L’homme reprit le chemin du retour avec sa maigre récolte d’argent. Les sauvages, les anges de l’enfer, préparèrent le piège. Marcelino cria, un cri théâtral, trop vrai, le facteur se détourna de son chemin, accourut vers l’enfant, se pencha vers lui. Marcelino arracha la sacoche et se précipita vers l’intérieur du champ de maïs. Le facteur se lança à la poursuite du mauvais garçon, les maïs s’écrasaient. Des pieds le firent trébucher, il se trouva à terre, les sauvages se précipitèrent sur lui, le fixèrent au sol comme un timbre-poste sur une enveloppe. Manos de Seda prit la sacoche, il avait imaginé un trésor là où il n’y avait que quelques pièces de monnaie. Enragé de ne trouver qu’un maigre butin, il sortit son couteau. Le soleil était vif, une brise douce, rare pour la saison, atténuait sa chaleur. Ils riaient, des rires d’enfants aux voix aiguës, ils riaient de voir le pauvre facteur à terre, ils riaient de voir son sang qui s’écoulait par sa bouche, leurs rires furent plus intenses, ils fêtaient le bonheur, l’innocence de leur sauvagerie. Manos de Seda brandissait entre ses doigts ensanglantés un morceau de langue, la langue d’un homme, il fit semblant de la mettre dans sa bouche puis la jeta au loin dans les maïs. Sa rage s’apaisa. Marcelino sourit, il avait masqué l’horreur, sa peur immense qu’il ne voulut pas dessiner sur son visage. Ils traînèrent l’homme à la lisière des champs, le déposèrent au bord de la rue poussiéreuse, des voisins alertèrent la police… Les sauvages continuèrent à se réunir le soir autour du feu.

 

La bande élargit définitivement son territoire, ils sortaient des limites du quartier, ils volaient les passagers des autobus. Les doigts fins et longs de Marcelino l’aidaient dans son métier. Un matin de bonne heure, Marcelino et Manos de Seda attendirent l’autobus San Gregorio – Mapocho, il arriva bondé. Ils montèrent en douce par la porte arrière. Tandis que l’un bouscula un passager l’autre glissa ses doigts dans les poches. Une fois leur méfait accompli, ils sautèrent de l’autobus en marche, Marcelino faillit tomber, il reprit son équilibre en courant quelques mètres.  Manos de Seda chuta, il ne put se relever immédiatement. Derrière l’autobus surgit un énorme cheval percheron qui tirait une charrette, les lourdes roues parées de jantes en acier écrasaient l’asphalte de leur poids tranchant. Fabio reconnut l’homme jeune à terre, il accéléra le pas du cheval, tira sur les rênes pour modifier la trajectoire de la charrette, visa les jambes. La roue droite passa sur la jambe gauche de Manos de Seda qui n’avait pas eu le temps de se relever, elle fut broyée, presque tranchée. Fabio continua son chemin, Marcelino le reconnut, il lui sourit.

 

Diego et Marcelino étaient deux frères aux caractères opposés. Diego timide et peureux, ne faisait rien s’il n’y était pas obligé. Il aimait se coller aux gens comme une sangsue. Marcelino était un roublard, doux en parole et méchant si l’occasion lui en était donnée. Il regrettait sa violence envers les autres, pleurait, mais ne pouvait s’empêcher de recommencer. Il était naturellement bandit, sans remords. Diego suivait Marcelino le soir dans la rue, il ne jouait plus aux dés. Un soir, le chef réapparut, une lourde béquille en bois offrait à son corps un équilibre précaire. Le feu de bois dégageait des flammes oranges et bleues, immenses. Manos de Seda pensa que les sauvages le fêtaient, il voulut leur montrer que le chef était de retour. Il demanda à jouer aux dés, l’argent tombé à terre lui parut attirant. Quelqu’un cria « les flics », Manos de Seda se jeta sur l’argent, Diego suggéra à Marcelino de balancer la béquille dans le brasier, elle atterrit au milieu de la flambée. Les sauvages entourèrent Manos de Seda lui prirent l’argent des mains, le rouèrent de coups. Il échappa péniblement à leur violence, sautilla puis se mit à trois pattes, essaya de ramper, il fut accompagné par des insultes jusque dans sa maison. Le monde sauvage devint difficile pour son existence de chef, il ne sortit plus de la maison familiale, tapi dans une chambre sans fenêtre, il eut à jamais peur.

 

Quelques semaines après son retour de Valparaiso, Soledad vint voir Diego.

 

      Eh ! Dis-moi Diego, quand est-ce que tu vas bosser ?

      Bientôt.

      Bientôt tu m’auras tout bouffé !

      Je ne t’ai pas coûté cher pendant tout ce temps ?

      Mon garçon, ici c’est chez moi, si t’es pas content tu peux te casser !

      Si j’avais un autre endroit, je me serais déjà tiré, ici c’est un nid de rats voleurs !

      Demain matin tu te casses chez ton grand-père.

      Quel grand-père ?

      Je te montrerai.

 

Le lendemain matin, Diego et sa mère marchaient d’un pas pressé en direction de l’est vers l’avenue Vicuña Mackenna. Près du poste des carabiniers, ils prirent une petite rue qui menait vers une propriété qui avait cessé le travail agricole. Il n’en subsistait que les grandes allées de noyers. Soledad chercha, sans trop reconnaître les lieux du cabanon de son enfance. Elle le trouva, décrépit, abîmé par le temps.

 

      Voilà c’est ici la maison de ton grand-père !

 

Débarrassée du paquet-Diego, Soledad était attendue par Marcelino à l’entrée de la maison.

 

      Maman, je m’en vais moi aussi ! lui dit-il.

      Allez ! Ca suffit maintenant !

      Mais non, je pars.

 

Marcelino quitta la maison à l’âge de treize ans, il tomba amoureux d’une femme jeune, de vingt ans, qui était mère célibataire. Soledad resta étonnée, comment allait faire son amour de fils pour s’occuper d’une femme et d’un bébé ? « Je travaillerai », répondit-il. Soledad faillit mourir, son enfant chéri, sa douceur printanière en toute saison partait. Elle rêvait d’être reine, son fils adoré, son petit prince, l’abandonnait dans un monde noir. Mais tout s’éclaira lors d’une visite de Marcelino à la maison, il lui apporta quatre Napoléons en or, fruit de son travail. Il avait définitivement ouvert son existence au-delà des limites de la población. Il fit du vol son métier. Son père le conseillait, il le trouvait si astucieux, un vivaracho [2] .

 

      Fais attention, va doucement, ne montre pas aux autres ce que tu as comme objets.

      Ô mon chéri, ne te laisse pas prendre par les flics! Tu me fais peur, c’est un travail si risqué, ajouta Soledad.

 

Le travail était vraiment risqué. Malgré les mises en garde de ses parents, dès l’âge de dix-sept ans il répara des chaussures. Pendant six ans, il apprécia l’ombre douce de la prison.



[1]  El placer de la carne :  le plaisir de la chair.

[2]Vivaracho : futé. Dans la langue populaire se dit d’un type qui floue les personnes.

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Mon rêve, les belles plages au nord de Lisbonne.

Publié le par E.P.O.

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Cenizas 10. Relecture 30 janvier 2013

Publié le par E.P.O.

Chaque matin, elle le réveillait avec des caresses douces, lui préparait son thé au lait, le pain grillé, la confiture, le beurre, un minuscule morceau de viande. L’enfant avait des privilèges que les deux plus jeunes ne connurent jamais.

À l’école, il s’ennuyait, devenait violent, tapait, se bagarrait, faisait des caprices, il était carnivore, chien enragé, il ne supportait rien. Soledad le défendait : les gens étaient méchants avec son fils, jaloux de sa beauté.

Chaque midi, elle lui préparait un plat cuisiné, ensuite elle l’accompagnait à l’école, il criait, elle le déposait quand même. Soledad se dépêchait de rejoindre son mari dans le lit conjugal, elle se déshabillait, mettait un pyjama en flanelle, le même en toute saison. Elle conseillait aux deux enfants plus jeunes de ne pas faire de bruit, elle les mettait dans l’arrière-cour, fermait la porte et les empêchait de revenir dans la maison. Lorenzo attendait sagement la venue de sa femme, elle se blottissait contre sa poitrine velue, en quelques secondes tous deux dormaient d’un sommeil lourd. À dix-sept heures précises, la sonnerie du réveil évaporait leurs rêves. Soledad reprenait son bijou à l’école. Elle était encore plus disposée à lui faire plaisir, revigorée par un sommeil réparateur. Marcelino apprit vite le chemin entre sa maison et la English School, Soledad fut ravie de son sens de l’orientation, tellement elle était pressée de dormir à côté de son homme. Les institutrices s’aperçurent que l’école n’était rien d’autre qu’une garderie pour l’enfant. Lassées de sa violence, de ses caprices, des coups de gueule démesurés de Soledad à chaque convocation, les institutrices n’avertirent pas les parents le jour où Marcelino, âgé de huit ans, n’alla plus à l’école.

 

Dès le premier jour où il fit demi-tour il alla retrouver un groupe d’enfants “sauvages”. Ils se réunissaient au carrefour à quelques mètres de sa maison, vite il apprit à jouer aux dés, aux craps, il prenait dans les poches de son père quelques pesos pour miser. Floué par les grands, écrasé par leur violence il n’osait protester. Le soir, après la collation de six heures, il demandait à sa maman la permission de retrouver ses amis, « sois sage », lui disait-elle. Soledad, au courant de rien, n’avait que son rêve de bonheur : son fils était un innocent.

 

Autour d’un feu de bois chacun racontait ses exploits sexuels, ils étaient âgés de sept à douze ans. Marcelino écoutait sans comprendre, les yeux grand ouverts voulaient voir les images évoquées par tous ces mots, son esprit fut enchanté des récits des grands. Sans pouvoir nommer son émoi, sans pouvoir contrôler son corps, il se trouvait excité sexuellement. Il trouva en la personne d’un voisin de quoi s’initier à la vie sexuelle, ils passèrent de longs après-midi à explorer leurs corps. Ils s’embrassaient passionnément comme au cinéma, ils finirent par trouver le seul trou disponible dans leur corps, ignorants qu’ils étaient du corps des filles. Ils s’épuisèrent à se sodomiser, recommençaient encore sans connaître de jouissance, sans avoir d’orgasme.

Marcelino était devant la boucherie chevaline avec deux autres enfants, ils comptaient l’argent.

 

      Monsieur, nous voudrions trois steaks pas trop gros ! demanda Marcelino.

      Monsieur pourriez-vous nous donner des steaks de jument seulement ? ajouta l’un d'eux.

Le boucher riait, « n'importe quoi, des steaks de jument ». Il découpa trois morceaux de viande qu’il enveloppa dans du papier journal. La nuit tombée, ils s’éloignèrent dans les champs, la lune éclairait leur univers. Avec des brindilles ils firent un feu minuscule. Tous les trois avaient entendu parler les grands d’el placer de la carne [1]. Chacun prit son steak, Marcelino, comme les deux autres, le posa sur la paume de sa main qu’il approcha de son pénis en érection, il serra sa main et se masturba jusqu’à avoir un orgasme. Ensuite ils restèrent hébétés, c’était donc ça faire l’amour avec une femme.

 

Les soirs de feu étaient toujours dominés par Manos de Seda, le plus violent de tous, les autres lui obéissaient sans protester. Grands maintenant, ils osaient s’aventurer plus loin, ils sortaient de leur territoire délimité par l’odeur de leur urine et les traces verdâtres de leurs crachats sur une terre sèche. Manos de Seda, le chef, les amena vers la población Malaquias Concha. Ils s’arrêtèrent devant la maison de Fabio, un ouvrier paysan qui vivait un deuil profond, quelques jours auparavant il avait enterré son fils aîné.  Manos de Seda aperçut Rosa, une belle fille au type indien, il s’en approcha, ouvrit la porte du jardin et se jeta sur elle. Tous les enfants vinrent aider Manos de Seda à la plaquer à terre, il déchira la robe, rageur il enleva la culotte, il la voulait toute nue. Un homme surgit, le visage carré, creusé de peine et de fatigue, dans sa main droite il tenait une laisse qui empêchait un molosse aux crocs blancs, énormes, de dévorer la troupe sauvage. Manos de Seda et les autres sortirent leurs couteaux, ils eurent peur. Fabio regarda Manos de Seda, un regard profond rempli d’un enfer de désirs assassins détailla chaque endroit du corps du jeune adolescent-loup insolent. Il approcha sa fille sans la regarder, atteint d’une immense pudeur il la plaça derrière lui, il reculait pour entrer dans la maison. D’un coup il lâcha la laisse qui retenait le chien, ses crocs se plantèrent dans la jambe de Manos de Seda qui abandonna un morceau de chair du mollet dans la gueule du chien. Le long de la rue poussiéreuse, de retour à leur quartier il hurlait de douleur, les autres sauvages étaient déjà loin.

 

La rue Punta Arenas marquait la limite de la población, au-delà s’érigeaient les plantations de maïs, elles masquaient l’horizon proche. Les épis arrivés à maturité, leurs blonds cheveux sortaient de leur enveloppe, bientôt récoltés et vendus dans les marchés de la población. Les plats traditionnels, à base de maïs, attendus comme autant de fêtes renouvelées répandaient leurs parfum : maïs, basilic, haricots à écosser, piments verts, coriandre. Dans les quelques jours qui suivirent, sa morsure à peine guérie, Manos de Seda avait repris sa place de chef aux commandes de nouveaux méfaits. Un homme l’intriguait, il frappait aux portes des maisons, donnait des petits paquets plats et recevait de l'argent en contrepartie. L’homme tout maigre et jeune portait en bandoulière une sacoche, il marchait sans se presser. Les sauvages le suivaient chaque jour plus près sans que l'homme s'en douta. Ils voulaient connaître son parcours. L’homme reprit le chemin du retour avec sa maigre récolte d’argent. Les sauvages, les anges de l’enfer, préparèrent le piège. Marcelino cria, un cri théâtral, trop vrai, le facteur se détourna de son chemin, accourut vers l’enfant, se pencha vers lui. Marcelino arracha la sacoche et se précipita vers l’intérieur du champ de maïs. Le facteur se lança à la poursuite du mauvais garçon, les maïs s’écrasaient. Des pieds le firent trébucher, il se trouva à terre, les sauvages se précipitèrent sur lui, le fixèrent au sol comme un timbre-poste sur une enveloppe. Manos de Seda prit la sacoche, il avait imaginé un trésor là où il n’y avait que quelques pièces de monnaie. Enragé de ne trouver qu’un maigre butin, il sortit son couteau. Le soleil était vif, une brise douce, rare pour la saison, atténuait sa chaleur. Ils riaient, des rires d’enfants aux voix aiguës, ils riaient de voir le pauvre facteur à terre, ils riaient de voir son sang qui s’écoulait par sa bouche, leurs rires furent plus intenses, ils fêtaient le bonheur, l’innocence de leur sauvagerie. Manos de Seda brandissait entre ses doigts ensanglantés un morceau de langue, la langue d’un homme, il fit semblant de la mettre dans sa bouche puis la jeta au loin dans les maïs. Sa rage s’apaisa. Marcelino sourit, il avait masqué l’horreur, sa peur immense qu’il ne voulut pas dessiner sur son visage. Ils traînèrent l’homme à la lisière des champs, le déposèrent au bord de la rue poussiéreuse, des voisins alertèrent la police… Les sauvages continuèrent à se réunir le soir autour du feu.

 



[1]  El placer de la carne :  le plaisir de la chair.

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Un Été à Giverny

Publié le par E.P.O.

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Cenizas 9. Relecture. 29 janvier 2013.

Publié le par E.P.O.

À Valparaiso, Diego connut l’amour, il tombait amoureux tous les jours des filles qui habitaient la même colline, il découvrit le sexe et son envoûtement, l’envie d’encore, encore, encore. Adolescent, il aimait se promener avec ses amis et José dans les rues à putes du quartier Echaurren, à côté du port. Dans ces rues, il se confronta à un incident qui lui fit, quelques mois plus tard, prendre conscience de sa peur et de sa solitude. Ce fut un soir d'été, il était habillé élégamment, son premier pantalon à pattes d'éléphant et sa chemise collée au corps lui donnaient une silhouette filiforme. Il descendit de la colline, plein d'enthousiasme, vamper les filles des colonies de vacances pour adolescentes. Un fois dans les parages il se ravisa, il proposa à José de chercher mieux, plus à leur goût, les jeunes filles lui semblaient “coincées”. Ils rêvaient de voir les prostituées à l'œuvre, ils passaient leurs têtes à la porte des bars et criaient :

 

      Las putas, aqui estamos, echemos a pelear los miones  [1].

 

Étonnés de leur hardiesse et peureux en même temps, ils partaient en courant. De loin, masqués par la pénombre du soir, ils voyaient sortir les jeunes proxénètes qui pointaient leur index menaçant. Ils riaient. Le plaisir leur dictait : “une dernière fois’’. Le bar affichait à l'entrée, sur un panneau coloré, le titre du spectacle du soir. De l’extérieur ils voyaient des petites fenêtres parées de rideaux éclairés par une lumière intérieure tamisée. Ils avancèrent mais ne purent regarder à l’intérieur, un jeune gars appuyé sur deux béquilles en bois les arrêta. Diego voulut fanfaronner, vexé d'avoir été frustré dans son envie, il insulta le béquillard. Diego ne vit pas arriver le bout acéré de la béquille ni le coup de manche qui suivit, il se trouva à terre, inconscient. Il reprit connaissance, José lui tapotait la joue, une joue immense qui cachait son œil tuméfié, les badauds le plaignaient.

Cet épisode le poursuivit plusieurs mois, il ne pensait qu’à se venger. À la fin de l’automne, il se promenait dans le môle avec José, ils descendaient régulièrement des collines quémander des crevettes aux marins pêcheurs. Son regard fut attiré vers l’entrée du port, il vit le béquillard, il alla à sa rencontre avec la ferme intention de prendre sa revanche. Il se posta devant lui, les bras écartés comme dans les films de cow-boys.

 

      Tu me reconnais ?

      Je ne reconnais jamais les connards que je fous par terre !

      C'est ça, je vais te taper la gueule !

 

Diego s’avançait menaçant, aussitôt il recula face à la lame luisante d’un couteau à cran d’arrêt, qui fendait l’air d’un demi-cercle rageur. Il eut peur, dans son dos il entendit un bruit d’acier, un saignoir avait été lancé dans sa direction, le granit du sol lui en renvoya le son aigu.

 

      Prends le couteau mon garçon et va le planter ! vociférait un costaud qui observait la scène.

 

Il perdit tout courage, on lui demandait de tuer un homme, il n’osait pas prendre le couteau. Il resta paralysé, eut envie d’appeler son père, un vide le submergea, il eut envie d’être réconforté par sa mère, l’air frais de l’océan Pacifique giflait son visage. Il se voyait mourir. José vint à son secours, il s’approcha sans hésiter du jeune homme menaçant, donna un coup de pied aux béquilles qui virevoltèrent et retombèrent par terre. Sans équilibre, le béquillard chercha en sautillant quelque appui que José ne lui permit pas. Il récupéra par terre une béquille, lui asséna un violent coup à hauteur des épaules, le béquillard fut précipité dans la mer. José empoigna le couteau, descendit le long d’une échelle pour achever l’homme qui surnageait dans l’eau froide, des vieux marins l'en empêchèrent.

Le soir, Diego fut pris d’une profonde nostalgie, il voulut retourner chez lui à San Gregorio, il ne se rappelait plus des raisons qui l’avaient poussé à vivre chez Camila. Les traces de la maltraitance maternelle sur son dos d'enfant n'engendraient plus de douleur. Il resta éveillé toute la nuit, à l’aube il décida de partir. Camila et Nonato n’eurent pas la force de le raisonner. José voulut l’accompagner, il refusa, vexé par sa propre peur. Il descendit la colline lentement.


III

 

 

 

 

 

 

Au loin, la mer. Diego abandonnait Valparaiso avec l’illusion de retrouver une famille. Arrivé au terminus Mapocho, à Santiago, il prit un autocar pour la población. Il retrouvait sa maman, qui l'avait délaissé depuis si longtemps, chez lui enfin. Avec un bâton, il frappa contre le fer de la grille en plein milieu de l’après-midi, une voix ronchonne, aigre demanda :

 

      Qui est làààà ?

      C’est moi maman, Diego.

      Qu’est-ce que tu veux ?

      Je rentre à la maison.

      Pour quoi faire?

      C’est chez moi ici.

 

En chemise de nuit, Soledad surgit en plein soleil, l’humidité de la terre embourbait le tissu qui traînait à même le sol, avec une clé elle ouvrit le cadenas qui fermait le portail. À l’arrière de la maison, elle lui montra un emplacement, un vieux lit de camp dans un coin, dans la même chambre que ses trois frères.

 

      Voilà ! Tu dormiras avec tes frangins, et puis demain t’iras chercher du boulot.

      Maman, je suis content de revenir à la maison.

      Moi pas, je ne suis pas contente de t’accueillir. Si ici ça ne te convient pas, tu te casses.

 

Diego se tut, aucun mot de tendresse, sa mère l’accueillait comme s’ils s’étaient quittés la veille. Il n’avait plus la douleur des coups de bâtons sur son corps, seuls restaient les souvenirs flous d’une enfance sans amour. Mais où aller désormais ? Il regarda la maison, la chambre commune de ses frères, les lits alignés, les vêtements entassés partout. Il voyait l’arrière-cour au travers de la vitre sale d’une petite fenêtre. Le prunus et les grenadiers, plus grands, plus beaux que dans ses souvenirs, hibernaient. Il alla se promener dans la rue, en sortant un jeune adolescent vint à sa rencontre.

 

      Qui es-tu ? demanda-t-il.

      Je m’appelle Diego.

      T’es mon frangin, je suis Marcelino.

 

Marcelino fit la connaissance de Diego. Cela faisait douze ans que Diego n’habitait plus chez papa et maman. Il l’invita à rejoindre les sauvages, le présenta à la bande, Diego enthousiasmé par leur accueil raconta la mer, Valparaiso, les collines, les maisons suspendues dans le vide. Les sauvages qui ne connaissaient pas la mer pensaient que Diego mentait quand il leur disait qu’elle était infinie, qu’on n'en voyait pas la fin. « Assez de tes histoires, l'intrus ! »Manos de Seda [2] jeta les dés à terre, l’argent tombait dans un cercle, la banque. Diego joua et gagna de l'argent en tirant les dés, il prit ses gains mais Manos de Seda décréta qu’il prenait tout. Diego protesta, un couteau se posa sur son visage, suivit un court silence, une haine continue se déversait sur son corps, le chef était un tyran. Plein de peur il rentra chez sa mère. Tard le soir, timidement il s’avança jusqu’au portail, il vit au milieu du carrefour les sauvages qui avaient allumé un grand feu. Il discernait dans la clarté des flammes le visage rieur de son frère Marcelino. Mais qui était ce Marcelino ?…

 

Marcelino était le préféré de sa maman, il grandit collé au sein de sa mère. Une fois elle essaya de le sevrer, mais à la fin de chaque grossesse, elle lui faisait partager le sein avec le nouveau nouveau-né, par pur plaisir ; il la faisait jouir. De temps en temps, quand elle n’avait plus de lait, elle lui offrait encore le sein. Il prenait le téton avec force, sans mordre, le suçait longuement mais aucun lait n’arrivait. Onze ans durant, il suçota de temps en temps les seins de sa mère. À l'âge de six ans, elle l’inscrivit à la seule école privée du quartier, la English School. Quelqu’un d’étranger à la población se serait forcément demandé ce que cette école pouvait faire dans un endroit pareil. La English School était un ensemble de cabanons en bois posés sur un terrain exigu, l’enseignement était payant, l’école proposait une pédagogie originale, dès l’âge de cinq ans les enfants apprenaient l’anglais. Il y avait quarante enfants de tous âges repartis dans deux classes. Dans ces quartiers misérables, l'école privée semblait un palais. Soledad voulait pour son enfant  tout ce qu’il y avait de mieux pour faire de lui un être intelligent. Marcelino était son bijou, il lui apportait la lumière avec ses beaux cheveux blonds. Il lui apporta la réalisation d’un désir si attendu, un enfant à la peau blanche. Il était sa consolation aux kilos de graisse qui enveloppèrent définitivement son corps. Les hommes qui la savaient pleine de désir ne l’abordaient plus : pas belle.



[1]Les putains nous sommes là, faisons se bagarrer nos fait-pipi.

[2] Manos de Seda : mains de soie, allusion à la douceur du tissu. Une main qui glisse dans les poches sans que la victime s’en aperçoive.

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Lisbonne, la belle.

Publié le par E.P.O.

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Cenizas 8 Relecture. 28 janvier 2013

Publié le par E.P.O.

 

Soledad regardait les mâles de son quartier, quelques-uns lui paraissaient intéressants. Ses allers et retours à l’épicerie du coin finirent par attirer le regard d’un groupe d’hommes jeunes qui n’avaient pas de travail, ensemble ils tuaient le temps. Tuer le temps, se tuer à tuer le temps, le temps qui passait. Ce temps était un temps mort. Ils aplanissaient la surface de la terre dans un diamètre si limité qu’ils pensaient que le centre du monde était à l’endroit même de leur station debout. Soledad était une apparition, dès le premier regard croisé, elle commença à changer sa manière de marcher, plus lentement, ses hanches provoquaient le désir, un mouvement de balancier délicat, régulier, houle marine, vent printanier dans une allée de saules pleureurs. Au sortir de l’épicerie, un des garçons lui proposa de l’accompagner, elle accepta. Arrivés devant la maison, ils se sourirent. Le garçon la regardait profondément, un jeune homme mince âgé de seize ans, peut-être plus, une peau brune au grain doux, de grands yeux, des sourcils épais. Les mains du garçon se posèrent doucement sur les épaules de Soledad, qui n’attendit pas l’appel des muscles des bras et se blottit contre lui. Plus qu’une demande de sexe, c’était une demande de tendresse, le garçon ne pouvait comprendre, il la voulait toute. Ils firent l’amour, un temps court et sans jouissance pour Soledad, le garçon s’échappait déjà.

 

Des mots cruels maltraitèrent son esprit tout un après-midi, Lorenzo dormait d’un sommeil divin, les anges l’entouraient, Soledad bouillonnait d’un sentiment jamais éprouvé jusque-là. Des pensées trop fortes comme des voix tyranniques lui rappelaient : “une femme mariée ne doit jamais tromper son mari, une mère de famille doit se comporter comme une vierge”. D’où venaient ces mots, qu’elle n’avait jamais entendus de la bouche de quiconque. Elle, libre, avec son désir brûlant eut honte d’avoir envie de sexe. À son réveil, Lorenzo découvrit une table où étaient posés une assiette avec une salade de tomates-oignons, du pain frais. Soledad le pria de s’asseoir, de sa main droite elle lui caressa la tête, pas de cornes apparentes, elle en fut soulagée, de sa main gauche elle posa sur la table un plat qui contenait un morceau de viande. Lorenzo mangea avec appétit, sa femme correspondait à son rêve d’homme : une femme serviable. Rien qu’une femme attentive, bonne cuisinière, douce, câline, chienne au pied, non, mieux encore : une femme au pied. Il soupira très fort, assuré d’être un homme, un vrai.

 

Les Soledades [1] du quartier avaient une contraception approximative, un mélange de rythmes biologiques et de superstition religieuse, aussi toute rencontre sexuelle confirmait au bout de quelque temps que pater semper incertus est, alors que la mère était certissima. Soledad fut enceinte de son deuxième enfant, son ventre s’arrondissait, son corps prenait la forme d’une toupie, ses hanches disparaissaient. Le mouvement de ses fesses se dodelinant avait disparu. Soledad, la douce houle marine s’était muée en oie énorme : ses mouvements lents, sa marche pesante, ses jambes écartées la déprimaient. Le temps lui parut long.

 

Au bout d'un certain temps naquit son deuxième enfant, Diego, Soledad fut déçue, elle espérait une fille, ce fut un garçon. Elle espérait un bébé à la peau blanche, aux cheveux blonds, elle accoucha d’un bout de charbon minéral, un bébé à la peau mate et brillante. Elle espérait que Maman vienne le lui prendre, elle ne lui rendit pas visite. L’enfant resta dans ses bras, il avala son lait, lui rendit les seins douloureux et la vie plus difficile encore. Elle vécut toute une année pleine de tristesse, l’enfant pleurait jour et nuit, elle le laissait seul des heures entières. Soledad était une femme maltraitée par une maternité qui lui était étrangère. Dès qu’il put marcher, elle souhaita sa mort, un souhait qui frôlait le passage à l’acte. L’enfant courait vers le danger : il monta sur une chaise qui bascula, son front s’ouvrit, sa maman regarda la scène sans bouger. Au bord du canal, lors d'une promenade il perdit l’équilibre et tomba dans l’eau, la mère n’appela pas à l’aide. Un voisin qui regardait la scène le sauva. Soledad resta interdite l’enfant dans les bras, ne sachant que faire, “trop traumatisée” pensa le voisin. Soledad devint triste, sa vie sexuelle restait présente dans son corps, son âme se refusait à toute aventure, sa jouissance basculait lentement vers une haine illimitée qui dessinait le visage du responsable de sa situation : son enfant mâle.

 

Elle grossissait, imperceptiblement, ce devait être le trop plein de désir contenu. Elle aimait manger n’importe quoi, manger de tout, surtout manger. Un après-midi, alors qu’elle revenait d’acheter quelques courgettes pour préparer la soupe du soir, un beau garçon suivit ses pas, des frissons parcoururent son corps. Il arriva à sa hauteur, ils parlèrent, se regardèrent, il était mince, jeune, la peau blanche, hâlée par le soleil, une touffe de cheveux châtains clairs et des yeux bleus. Il prit une courgette dans le sac de Soledad, il en joua, la fit devenir pénis détachable, ils riaient. Silencieusement ils rentrèrent dans la maison, Lorenzo dormait, ils se glissèrent dans l’arrière-cour, Diego dormait sous le prunier, quelques mouches allaient et venaient sur son visage, elle le regarda, amena le jeune homme jusque dans un cabanon. Le soir, à son réveil, Lorenzo vit Soledad avec Diego dans les bras, sur la table l’attendait une carbonada, un mélange de légumes avec de la viande coupée en dés. Il mangea goulûment.

 

      Ô que j’aime quand tu me fais des surprises !

      Parfois tu le mérites.

      Je vois que ça va mieux avec le petit ?

      Oui, avec le petit !

 

Elle fut enceinte, quelques mois plus tard naquit un bébé que Soledad trouva beau, elle l’appela Marcelino. Il était blanc, cheveux châtains très clairs, des yeux gris, à la couleur vraiment incertaine. Enfin un enfant différent, comme elle en avait rêvé. Elle lui donna le sein plus de deux ans, puis arrêta brusquement car elle éprouvait du plaisir à se faire téter, le même plaisir que lorsqu’un homme s’occupait de ses seins. Le sevrage fut sauvage, un matin elle posa l’enfant sur ses genoux, lui proposa un téton badigeonné de piment. L’enfant prit le sein dans sa bouche, il cria, pleura, étouffa même. Elle lui offrit le deuxième sein, lui aussi badigeonné de piment, il esquissa un geste de refus. Il commença à boire du lait de vache dans un grand biberon, chaque fois qu’il approchait de la tétine il éprouvait de la peur, la trace du sevrage resta longtemps. Mais le sein revint plus tard dans la bouche de l’enfant.

Et un œuf… neuf mois l’œuf cassa, encore un hommelette, pas beau selon les critères de Soledad, trop brun, trop poilu, trop indien. Elle l’appela Marcos.

Et un œuf… neuf mois l’œuf cassa, l’hommelette naquit, pas beau selon les critères de Soledad, trop brun, trop poilu, trop indien. Elle l’appela Octavio.

Quatre garçons, quatre frères, ils grandirent d’un amour maternel inégal.

 

Diego grandit vite, trop vite. Dès l’âge de cinq ans, sa maman abattit sur son dos d’enfant le manche à balai. Les coups de bâton, assenés juste après le petit-déjeuner, étaient une sorte de complément alimentaire, ils réveillaient l’enfant pour toute la journée. L’enfant rappelait à Soledad que c’était lui qui l’avait introduite dans un état de femme-maman permanent qu’elle ne pouvait aimer.

Imperceptiblement, Diego accomplissait le désir de sa mère de le voir ailleurs, son âme d’enfant le guida vers Camila, qu’il appelait « ma tante » dans la población voisine. À midi, après l’école, Camila l’accueillait, le nourrissait, il jouait désormais avec José, l'aîné des enfants de Camila. Dès les premiers jours du printemps, ils arpentaient les champs armés de frondes à la recherche de monstres à tuer. Dans la hauteur des herbes, les fleurs de trèfle appuyées sur de longues tiges s’assoupissaient sous la lumière solaire, les pas des enfants les écrasaient. Le sillon creusé, rectiligne, révélait au loin des silhouettes maigres qui s’éloignaient, félines. Le vent doux caressait leurs cheveux noirs, brillants, puis au bout de leur parcours secret, tapis en silence, ils regardaient, posés sur les branches d’acacias, les oiseaux. Adroits avec leurs frondes, ils terrassaient les monstres moineaux. Ils s’appropriaient les chevaux des voisins dans les herbages sur les terrains aux alentours. Le plus beau était celui de Fabio un voisin paysan qui laissait son cheval percheron paître dans les champs, les enfants le montaient à cru, leurs fesses rougies et endolories ne les empêchaient pas de recommencer. Plus tard, alors qu’il ne restait qu’une terre calcinée par le soleil d’été, ils passaient leur temps assis sur les branches des pruniers à déguster les fruits encore verts, ils appréciaient leur acidité, ils les mangeaient en les trempant dans du sel. Ils se rendaient malades, des diarrhées terribles, ils payaient le prix de leur gourmandise. Pâles, leur peau devenait fripée, puis le miracle s’accomplissait, le pouvoir laxatif des prunes disparaissait. Leurs tripes encore endolories ne les décourageaient pas, vite ils reprenaient du sel et s’asseyaient sur les branches des pruniers. Diego rentrait chez lui juste avant le coucher du soleil, il ouvrait la porte de sa maison, regardait ses frères, souriait à sa mère et gagnait son lit. Ses nuits d’enfant étaient remplies d’un même rêve : “il volait comme un oiseau emporté par le vent, du ciel il discernait la maison de Camila, Nonato qui partait travailler sur un vieux vélo, son ami. Puis un réveil étrange, il descendait, son corps s’alourdissait, il chutait”. Il était sorti de son rêve par des mains qui s’agrippaient à son corps, sa mère le poussait à vite sortir du lit, à vite s’habiller, à vite partir à l’école, à vite disparaître de ses yeux. Vint le jour où il resta dormir chez Camila. Soledad ne s’inquiéta pas de l’absence de son fils la première nuit, pas plus que la deuxième. Elle n’osait demander à Camila des nouvelles de Diego, non pas qu’elle fut atterrée par une éventuelle disparition tragique, au contraire, elle avait simplement peur que Diego soit vivant et ne revint vivre chez elle. L’enfant ne retourna pas chez ses parents, il continua à aller à l’école du quartier le matin, l’après-midi il rentrait chez tata Camila. Avec son ami José, ils regardaient le monsieur qui chauffait le fer et le martelait. Dans un endroit de la maison, Camila lui aménagea un lit. Diego suivit la famille de Camila quand celle-ci déménagea à Valparaiso. Nonato lui souhaitait un avenir ; il l’inscrivit à l’école industrielle pour qu'il ait un métier de mécanicien, mais Diego ne s’y plaisait pas, il préféra les bords de mer. Il abandonna à jamais l’école, Nonato n’insista pas. Après tout ce n’était pas son fils. Il lui avait donné les possibilités d’une existence nouvelle, parce que Camila le lui avait demandé. Nonato toléra sa présence à la maison.



[1]Soledades : pluriel de Soledad, toutes les jeunes femmes qui ressemblaient à Soledad.

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Les mineurs Chiliens sous la roche.

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