La nuit. En face de la chambre, de l’autre côté de la vallée, les lumières telles des étoiles scintillaient. Le vent doux du soir accentuait le calme qui envahissait la petite ville de San Vicente à Madère. La veille au soir, il avait reçu un nouveau courriel qui éveilla en lui une grande nostalgie.
Ce courrier n’était qu’une suite d’échanges qui avaient commencé un an auparavant. Le premier courriel était une retrouvaille. Marion écrivit : « J’ai jeté il y a longtemps une bouteille à la mer, que j’avais laissé flotter aux bords des plages de l’Atlantique, je n’osais pas la pousser vers le large. Hier, je l’ai repoussé au-delà des mers. J’ai cherché ton nom et ton adresse partout. Est-ce bien toi ? Est-ce bien toi le jeune homme que j’ai connu à la cité Allende ? Est-ce toi ? Réponds-moi ! ». Il lui répondu en quelques mots, qui ne pouvaient trahir l’immense émotion qui traversait son corps. Un frissonnement interminable qui le fit voyager vers sa jeunesse. L’homme qu’il était devint l’enfant des quartiers pauvres de Santiago, celui là même qui pleurait de douleur lorsque ses genoux furent rongés par un rhumatisme articulaire aigu et plus tard par les innombrables piqures de pénicilline. Les médecins avaient dit à ses parents qu’il ne fallait plus qu’il joue au football, qu’il ne devait plus courir. Ses parents oublièrent tous ces conseils bienveillants, il courut, il joua au football avec ses amis. Il basculait désormais vers la soixantaine. Il lui répondit : « C’est bien moi, le jeune homme d’hier ». Ils eurent encore quelques échanges par courriel, puis deux semaines avant de partir pour Madère, il lui envoya chez elle, au Brésil, deux romans dont il était l’auteur. La première rencontre avec les mots de Marion lui firent mal. Son corps avait reçu le coup des souvenirs toujours vifs d’un temps si lointain. Ceux de la veille le firent pleurer.
« Hola Mario,
J’ai reçu tes livres. Merci, j’ai commencé à les lire. Aujourd’hui, je suis arrivé à Santiago avec Ramon et Helena… je pense fortement à toi.
La jeunesse m’a quitté, elle m’a échappé. Mais l’intensité des souvenirs reste. Quelques uns collés à ma peau, d’autres, dans ma tête me suivent depuis toujours. Dans quinze jours je rentre chez moi au Brésil, que j’aime tant. On se rencontrera peut-être à Paris la prochaine fois. J’espère que mes soixante dix ans ne te feront pas peur. Je n’y peux rien tu es en moi depuis si longtemps. Je te fais un baiser, non deux, un pour chaque livre. Mon Mario, que sommes nous sinon mémoire ? A bientôt. Marion